Hier après-midi, le lycée organisait les rencontres
annuelles entre les parents et les professeurs.
Un moment dont les familles parlent d’une voix chevrotante tant
l’angoisse est encore perceptible.
Il faut dire que l’an dernier est gravé dans la mémoire collective. Nous
avions connu une belle cacophonie avec des files d’attente, des parents
surchauffées et des salles au bord de l’implosion (à moins que ce ne soit
l’inverse).
Mais cette année, l’administration nous l’avait promis ; tout
allait changer. Pas de rendez-vous griffonnés au crayon HB sur le coin d’une
table. L’ordinateur avait édicté les heures de rendez-vous, réparti les parents
en demi-journée selon l’ordre alphabétique. Chaque famille avait reçu une
dizaine de jours à l’avance sa feuille de route.
Avec deux enfants concernés, nous étions vernis. Une
douzaine de professeurs à voir, à raison d’un toutes les cinq minutes et cinq minutes pour aller au rendez-vous suivant... Avec des
salles parfois distantes de plus d’une centaine de mètres. Plus de deux heures
de speed-dating éducatif et de footing intensif.
Le temps de garer la voiture en biais sur le parking version
timbre-poste, je pénétrais dans l’enceinte de l’établissement avec à peine cinq
minutes de retard sur mon plan de marche (la faute aux gigantesques bouchons
bruxellois, la deuxième plaie de la ville après les chantiers). J’étais à la
bourre, tout s’annonçait à merveille.
Dans la vaste cour principale du paquebot scolaire de
2800 élèves, des parents couraient de part et d’autre. Beaucoup de couples. Devant
moi, une femme arrête de trottiner, son homme marche avec difficulté une
dizaine de mètres plus loin. Il ôte sa cravate quand il la rejoint. « C’est pire que les réunions à la
Commission européenne », dit-il au bord des larmes.
Emportés par la foule, qui nous traîne, nous entraîne, je frôle une élégante
qui tapote nerveusement son smartphone. Sa voix tremble.
« - Chéri, j’ai vu la prof de maths, elle dit qu’Adrien
peut faire mieux, bien mieux.
- …
- Je sais, il a déjà deux heures de soutien par semaine. Il
faudrait peut-être une heure supplémentaire le week-end, tu ne crois pas ?
- …
- Je sais bien qu'il a 17 de moyenne. Mais pour aller à
Cambridge, ça risque d’être un peu juste. »
Je me précipite vers la première salle indiquée sur mon
papier écrit fort petit (j’essaie de battre mon record de feuilles imprimées
avec une seule cartouche de noir, j’en suis à 230).
Cinq parents attendent, alignés
sur des chaises. Je jette un coup d’œil dans la pièce. Personne. Hourrah. Arrivé
devant le prof, je m’affale sur la chaise.
- M. Yibus, je lance dans un souffle asthmatique avant de
décliner le matricule de mon fils.
- Vous êtes sûr ? Il me regarde par-dessus ses lunettes embuées. Monsieur, nus
sommes en salle B 112.
Mince, j’avais lu A 112.
Je me retire en reculant à petits pas avant de foncer sitôt la
porte franchie.
Arrivé dans la fameuse salle B112, je souris à la prof de
je-ne-sais-quoi de ma fille. J’ai triomphé de la première épreuve. A peine
ai-je le temps de me reposer du sprint qu’émerge une douce voix.
- … Et voilà, monsieur, sinon, tout va bien.
Je la remercie en deux mots et me retire.
Dans le long couloir, des tables alignées. Les terminales
vendent des produits pour leur fête de fin d’année. Je veux prendre la feuille
de rendez-vous dans ma poche, je sors aussi un billet dont s'empare un jeune qui me refile un truc que
je mets machinalement dans mon sac.
Le rendez-vous suivant se trouve à 800 mètres de là. Au bout du monde. La foule se densifie. Au seuil de la porte, j’utilise deux mouchoirs pour m’éponger. Je donne le reste du paquet à mes voisines de labeur. Elle me remercient sans bruit.
Suit un laboratoire au sous-sol où aucun parent n’attend (les sciences
physiques sans doute). Le son mélodieux du prof me parvient de loin pendant dix
minutes comme je réfléchis au nombre de profs qui restent à visiter. Plus que cinq. Encore cinq.
Après, ce sera une salle en haut d’un arbre ou au
milieu d’un lac ? Non, la salle C123 456 567, tout simplement.
Trois femmes bavardent sur leur chaise, un café à la main. Elles
sourient. Nous engageons la conversation.
Un terminal passe, carton à la main. Il se poste devant moi. Pris dans le plaisir des mots qui roulent, je lui tends un billet sans le regarder.
Le retour à la maison se fait en rêvassant à nous autres,
parents, courant d’une salle à l’autre pour choper des bribes d’information sur
leurs enfants et à ces profs qui ont cinq minutes pour donner une impression,
une ambiance.
- Alors, papa, qu’est-ce qu’ils ont dit les profs ?
- …
Les deux grands se tiennent devant moi. Je n’ai pas encore fermé la porte d’entrée.
- Non, mais attends, tu les as bien vus, nos profs ?
- Oui, mais…
Silence.
- Ils avaient l’air content, je dis.
La feuille git là, en dix morceaux, chiffonnée.
A côté, un savon et une bougie. Je les leur tends.
- J’ai pensé à vous.
Tu m'as pris de vitesse, je vais sortir un billet lundi sur le même thème! Ce n'est pas si différent que ça en Angleterre, sauf que c'est par année. J'ai fait le grand vendredi, et début décembre, on y retourne, dans la joie et la bonne humeur pour la soirée parents/Teachers du pré ado! Que du bonheur.
RépondreSupprimerGreat, plus rapide même que l'Eurostar... Avec une différence entre la Belgique et l'Angleterre, vous amenez les ados, pas nous (et ouf !!!)
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